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Les Reb, gendarmes lorrains en Vendée

Secrets de famille, c’est la mode d’en parler. Il s’agit plutôt, ici, de légendes familiales transmises de génération en génération. Pour les ancêtres REB de mon grand père maternel, il ne faisait aucun doute qu’ils étaient lorrains et militaires. Après, on brode : l’ancêtre devait être un général d’Empire, au moins.

REB est bien un nom germanique mais mon arrière grand-mère est née en Bretagne ! Je découvre, par son acte de naissance, que son père est gendarme. Les archives de Vincennes donnent ses états de service : Jean Claude REB est lorrain, et fils d’autre Jean Claude, gendarme aussi. C’est la famille de militaires dont j’avais toujours entendu parler.

Question : les lorrains sont-ils prédestinés à être militaires comme les aveyronnais à être porteurs d’eau, la nécessité poussant, ici et là, les très nombreux fils de paysans à une migration temporaire ou définitive ?

Les lorrains sont bien bâtis, assez grands pour faire de beaux cavaliers, au minimum 5 pieds 6 pouces ; plus grands encore, ils toucheront une prime à l’engagement, pour chaque pouce supplémentaire. On ne trouve pas mieux dans le royaume de France. Les REB mesurent plus de 5 pieds 8 pouces (1,83m). Ainsi conditionnés, ils seront militaires. Le régiment « Royal Allemand » qui fit très peur aux parisiens, en juillet 1789 était composé de lorrains de langue allemande, il est qualifié de régiment étranger, ce qu’il avait été sous Louis XIV ! (SHAT, Y 5c carton 58 Contrôle du Royal Allemand 1776-86)

L’histoire de mes REB pourrait être celle racontée par les écrivains lorrains Erckmann Chatrian dans « Vie d’un paysan. »

1 - Jean Claude REB (1764 – 1823)

Né à Sarralbe, il s’engage en 1783 à 20 ans, il rejoint son frère, cavalier au régiment Royal Allemand .

Les quatre compagnies de cent hommes présentent très bien, lors des "montres". L'équipement du cavalier et de son cheval, payé par le propriétaire, est coûteux. Le bonnet entouré de peau d’ours, payé 12£ l’un, en 1780, est si cher que le cavalier qui quitte le régiment reçoit un chapeau s'il accepte de laisser son bonnet au régiment. L'entretien des culottes de peau blanche revient à 4£ par homme et par an.

Uniformes de l’armée française par Dr Lienhart et René Humbert  (édité à Leipzig)

Uniformes de l’armée française par Dr Lienhart et René Humbert  (édité à Leipzig)

Vie de régiment en garnison souvent dans l'Est, à Sarralbe même, ou le Nord. Le régiment appartient alors à Charles Eugène de Lorraine, prince de Lambesc, parent de Marie-Antoinette. Lambesc impose une discipline stricte, les punitions corporelles, les coups de plat de sabre, sont rudes et les ordres sont donnés en allemand.

En juin 1789, le régiment est stationné à Valenciennes. Le 29 juin, ordre est donné à Royal Allemand de se rendre dans la région parisienne et il atteint Choisy, le 5 juillet, après 200 km parcourus à marches forcées par une extrême chaleur. Le 11, il est à La Muette

Le matin du 12 juillet, un accrochage se produit, Lambesc reçoit une pierre rue St Honoré1, il tente d’entrer dans le jardin des Tuileries, dans la bousculade un vieil homme est blessé, une femme portant un enfant tombe, ce qui devient : « Il a sabré des promeneurs inoffensifs, lui-même a égorgé, de sa main, un vieillard à genoux qui demandait grâce. ». Camille Desmoulins poursuit ses harangues : « J’arrive de Versailles, Necker est chassé ; c’est le tocsin d’une Saint-Barthélemy de patriotes. Ce soir même, tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger. Une ressource nous reste, c’est de courir aux armes ! »

Vers 9 heures du soir, Royal Allemand, se repliant, se heurte aux gardes françaises, qui, sortant de leur dépôt malgré les ordres de leurs officiers, tirent et font trois blessés. Les 400 hommes du Royal Allemand, traités de mercenaires étrangers par la moitié des historiens, ont fait peur ! Le 14 juillet, même s’ils ont quitté Paris la veille, on les signale à la barrière du Trône, rue de Charonne, à la Chapelle. La légende a arrangé l'affaire du régiment resté fidèle ; à ceux qui les interrogent : "Qui vive?" - "Royal Allemand", répondent-ils - "Etes-vous pour le Tiers?" - "Nous sommes pour ceux qui nous donnent des ordres".

Car le roi aussi a peur, peur de faire verser le sang de ses sujets et il envoie, signé de sa main, l'ordre immédiat de renvoyer les troupes dans leurs provinces. Donc, le 13, Royal Allemand se replie à Metz, laissant les parisiens piller librement les dépôts d'armes.

Le départ de Paris a été si rapide que le régiment a abandonné ses bagages. Le Royal Allemand est allé de Metz à Saint Avold, puis Sarralbe, à Lunéville et Vic en 1791, puis à nouveau Metz et Stenay en 1792.

Je vous laisse souffler, pour maintenir le suspense. Le roman signalé d’Erckmann Chatrian situé à Saverne, oppose deux frères qui ont eu la chance d'échapper à la milice, le méchant qui se laisse entraîner, pour toucher la prime, par les sergents recruteurs dans un mauvais régiment, le Royal Allemand, et le très bon, très gentil héros qui s'engagera à la Révolution. Lequel est Jean Claude ?

Pour lui, il y a une question de date : engagé pour 8 ans le 3 février 1783, Jean Claude aurait terminé son service en février 1791. Une complication apparaît dans les états de service qui portent 1791 d’un côté et 1790 (interruption du 3 février 1790 au 1er octobre 1792), de l’autre sans oublier une campagne, Nancy ! Une vilaine affaire où Royal Allemand reprend la ville, le 31 août 1790, aux soldats suisses mutinés (SHAT Ya517).

On peut penser quand même que son engagement terminé, Jean Claude est rentré chez lui et qu’il répond, cette fois dans le bon sens, à l’appel de « La Patrie en danger » de juillet 1792. Il s’engage dans la gendarmerie juste après Valmy, compagnie de la Moselle, partie de la 18e légion. Il n’a pas suivi son ancien régiment qui a rejoint l’armée des Princes.

Et il est expédié en Vendée qui lui comptera quatre ans de campagne. On connaît le triste sort des bleus comme des blancs. Soldats misérables pouilleux, mal équipés. Le pays se prête à la guérilla. Les « brigands » sont chez eux, ils peuvent surgir à tout instant, dans le lacis de chemins creux, édifiés, entretenus au cours des âges. Les gendarmes ont beaucoup de morts, ils sont tirés comme des lapins.

Quand enfin, Jean Claude rentre en Lorraine, il épouse Catherine LOEFFEL, sœur d’un collègue gendarme de Sarreguemines, le 27 thermidor an 5. D’abord en résidence à Faulquemont, il passe rapidement à la brigade de Sarreguemines où sa vie semble assez paisible. Il ne quitte plus son pays, sauf cinq mois de campagne de France en 1814. Il était trop vieux pour accompagner la Grande Armée dans les années victorieuses.

1816. Les Bourbons sont de retour et Louis XVIII, peu soucieux d’entretenir une armée dont les sentiments bonapartistes restent vifs, épure. Il faut démobiliser ces troupes d’ « yvrognes », qui ne savent ni lire ni écrire et parlent à peine français. Demi-solde 200 F.

Gendarme à pied sous la révolution

Gendarme à pied sous la révolution

Habit de drap bleu de roi avec collet, buffleteries blanches,
Veste en drap chamois, culotte en peau couleur naturelle chamois,
Bottes remplacées par chaussettes et guêtres.
Chapeau, bordé d'argent avec ganse et cocarde (plate et circulaire) aux couleurs nationales, avec plumet rouge Armement; un mousqueton avec baïonnette, un sabre.

En 1818, Jean Claude REB, de la gendarmerie royale, est proposé pour la retraite avec un certificat de l’officier de santé : atteint de faiblesse générale et très usé par les fatigues de la guerre. retraite avec des états de service de 31 ans 4 mois 21 jours, plutôt surprenants, au service du roi (Nancy), de la république (Vendée), et de l’empereur (campagne de France) !

Jean Claude trouve un petit emploi à l’octroi pour finir d’élever les 9 enfants qui lui restent et qu’il laissera, à sa mort en 1823, à la charge de sa veuve dans la plus grande indigence. Ses fils vont s’engager et seront gendarmes comme papa.

2 - Jean Claude REB (1800-1858)

Si je n’ai pas pu trouver où le premier Jean Claude a été affecté en Vendée, vais-je être plus heureuse avec son fils, engagé en 1818 comme chasseur de la Garde Royale. C’est un semblant d’armée consenti par les Alliés … et Louis XVIII, toujours hantés par l’épopée napoléonienne et elle est étroitement surveillée par la police. L’armée est agitée, le cas extrême des quatre sergents de La Rochelle qui, convaincus d’appartenir aux carbonari, finissent décapités, à Paris, le 21 septembre 1822, est exemplaire.

Uniformes de l’armée française par Dr Lienhart et René Humbert  

Uniformes de l’armée française par Dr Lienhart et René Humbert

Les rapports de police abondent pour connaître le moral des soldats, surtout quand se dessine l’expédition espagnole. « Quelques anciens qu’on a entendu causer et des sous-officiers qui ont servi dans ce pays n’en espèrent pas, disent-ils, un heureux résultat. »

Cependant l’armée traverse l’Espagne sans histoire, jusqu’à Cadix, où le principal fait d’armes est, le 31 août 1823, la prise du fort du Trocadéro où se retrouve Jean Claude.

Jean Claude rempile en 1824 pour 4 ans et passe brigadier. Pourquoi est-il cassé de son grade, un an plus tard ? Je ne le saurai pas, certains papiers sont encore classés « secret » (sans doute dans l’intérêt des familles) et je n’aurais même pas dû tomber dessus, me dit-on !

Son engagement terminé lui permet de rentrer à la gendarmerie à cheval en 1828. Fonctionnaire, il monte les échelons et change de compagnie avec un tropisme vers l’Est : Eure et Loir, 1er régiment provisoire, Ille et Vilaine, Haute Marne, Aisne. Il termine sa carrière, lieutenant archiviste de la place de Lyon, où il prend sa retraite avec 37 ans et demi de service, il était chevalier de la Légion d’Honneur depuis le 10 décembre 1851 2.

Et la Vendée dans tout cela ?

3 – La duchesse de Berry et moi

En 1832, la folle épopée de la duchesse de Berry provoque une petite chouannerie dans l’Ouest. Sans elle, il n’y aurait pas eu de mariage entre mes ancêtres de Champdeniers en Poitou et ceux de Sarreguemines en Lorraine.

Jean Claude est brigadier au 1er régiment provisoire à Niort, puis à Champdeniers. Champdeniers, à la limite de la Plaine et du Bocage, a toujours été dans la zone frontière entre région insurgée et région républicaine et n’est pas soumise à l’état de siège comme Parthenay. Le poste peut être assez calme.

Va-t-il participer, quand même, aux recherches des « brigands » voisins ? Tel ce Louis BORY, dit "le Capitaine Noir", bordier de La Peyratte, un vrai géant, qui a été recruté par La ROCHEJAQUELEIN. Violent et brutal, il assassine de sang froid tout comme il bat sa maîtresse. Rencontrant le docteur Charles B.BOUCHET qui chassait sur ses terres du Plénître, BORY et les quatre chouans de sa bande, lui arrachent son fusil et l'accompagnent vers sa demeure pour s'emparer des autres armes qu'il y détient. Le docteur BOUCHET parvient à leur échapper, mais BORY, vexé, jure de se venger. Le 12 septembre, quand les BOUCHET reviennent à pied, de Parthenay, avec leur fils étudiant, les chouans tirent sur celui-ci à bout portant. Atteint dans le ventre par plusieurs balles, Jacques BOUCHET, doué d'une belle santé, s'en est remis mais a passé une semaine entre la vie et la mort.

Et BORY se cache. Des battues, sans succès sont organisées. Le fait ne peut être ignoré à Champdeniers. Les gendarmes y ramènent de temps à autre, à la prison, quelques pauvres bougres enchaînés. La prison est alors dans la maison commune, là où est la mairie actuelle dans la Grande rue et elle est mitoyenne de l’auberge du « Dauphin ».

Cette auberge est propriété de la famille LEBERTHON. Le père François est mort en 1831 : c’est une maison de femmes, la mère, Jacquette BASTARD, et quatre filles … à marier. Si les gendarmes viennent y prendre un verre, on parle de BORY et de ses victimes. Et celles-ci sont des cousins germains de la patronne.

Gendarme Second Empire

Gendarme Second Empire
(eugene.bigotte.pagesperso-orange.fr/uniformes.htm)

La barbiche est obligatoire.

A la Révolution, les beaux-frères Jean Célestin BOUCHET et Jacques F. BASTARD ont acheté des biens nationaux en commun; ils ont fréquenté le même club et siégé dans les administrations où leur patriotisme a envoyé quelques brigands, ou supposés tels, à la guillotine. Tout cela désigne ces familles trop notables aux nouveaux insurgés. En plus, on a retiré leurs fusils, aux paysans, pour cause de sûreté publique; ils ne peuvent pas chasser, et ce droit de chasse, acquis de la Révolution, leur tient à cœur. Ces fusils confisqués, quand les leur rendra-t-on? Une enquête s'ensuit, les fusils sont introuvables, et la réponse, logique: "Impossible de rendre ce qui n'existe pas" n'arrange rien. Pendant ce temps, les bourgeois chassent avec leurs amis de la ville. On peut comprendre le ressentiment de BORY.

L'enquête qui suit, les recherches des caches du coupable, la peur, aussi, de le voir resurgir ont alimenté les conversations des enfants LEBERTHON, jusqu'au chevet de leur mère mourante. L'agitation est à son comble. Les gendarmes ont dû être relayés par la troupe pour arrêter BORY introuvable. Un mois plus tard, on n'est pas plus avancé et c'est le hasard d'une dénonciation de mendiant qui le fera prendre. Après un procès rapidement mené, ses amis espèrent encore pendant l'attente du pourvoi en grâce; eux, ils y croient.

Alors, on redoute des mouvements de foule, des "criailleries", comme l'écrit à son ministre, le procureur général de Poitiers quand on décapite Bory, le 18 septembre 1833, sur la place du Drapeau à Parthenay. C'était un jour de marché, les spectateurs se pressaient en foule, les gendarmes ne manquaient pas. Aucun cri n'a été proféré.

Peu avant, Marie Justine LEBERTHON a épousé son gendarme, la 8 juillet 1833. Et pour elle, une vie d’errance commence, un an après, le calme est rétabli en Vendée, il est nommé maréchal des logis en Ille et Vilaine.

4 – Les REB de Sarralbe

Jean Claude REB (sosa26), gendarme, est le second enfant sur treize, d’autre Jean Claude REB (sosa52), gendarme à Faulquemont. Leur terre d’origine autant qu’on puisse remonter (17e siècle) est Rech lès Sarralbe. Sarralbe, au confluent de deux rivières Sarre et Albe, on ne fait pas mieux comme terre d’invasion, tout y passe, les grandes routes, la ligne Maginot aquatique, et maintenant l’autoroute de l’Est. Cette terre a été ravagée durant la guerre de Trente Ans, par les suédois, la peste et le typhus.

La population a diminué de 60 %, les terres sont en déshérence, elles seront offertes en récompense aux immigrants belges, tyroliens, qui viennent repeupler le pays d’Albe.

Je n’ai pu trouver le lieu de naissance du premier ancêtre REB, André, né vers 1560. Il peut être autochtone, car il n’est pas isolé, plusieurs branches REB coexistent dès le 17e siècle, tellement prolifiques que certains iront peupler l’Amérique.

En ligne directe, on remonte à :

I – Daniel REB (+ 1722) x Elisabeth MEYER

II- Jean REB (1645-1725) x Anne WEYER, Agathe RODE

8 enfants dont 6 mariés donnant deux branches américaines descendant de l’un d’eux, Jean REB x Anne Catherine OSTWALD

III - Jean Georges REB (1689- 1752) x Anne Marie KESSLER

IV – Jean Jacques REB (° 1722) x Jeanne PETRI

8 enfants dont Jean Claude (ci-dessus) et Jean (1754-1814) x Barbe LEMIUS qui ont, tous deux, une descendance militaire de gendarmes.

V – Jean Claude REB sosa52 (1764-1823) x Catherine LOEFFEL

13 enfants

VI – Jean Claude REB sosa26 (1799-1856) x Justine LEBERTHON

4 enfants

Les REB américains ont leur association, REB ou REEB ou RAPE, de Sarralbe (Lorraine), de Kalhausen (distant de 10 km, mais en Alsace). On leur doit une grande généalogie.

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Sources : Dossier Leonore 2276074

1 Les manifestants occupaient la terrasse des Tuileries d’où ils jetaient des pierres : la rue de Rivoli n’existait pas.
2 La date de promotion coïncide curieusement avec le coup d’Etat du 2 décembre 1851, qui avait été préparé en s’appuyant sur les sentiments bonapartistes de l’armée : la cavalerie à Satory en 1850 n’avait-elle pas déjà défilé en criant « Vive Napoléon, vive l’Empereur » ? .Jean Claude REB était alors, lieutenant de gendarmerie à Vervins, l’Aisne n’a pas réagi contre Napoléon, comme l’a fait une quinzaine d’autres départements.