Philippe Segretain etait-il un aventurier?
Le patronyme Segretain ou Secretain est largement répandu dans les pays de Loire jusqu’au Poitou.
A Champdeniers, aux confins de la Gâtine poitevine et de la Plaine, une famille SEGRETAIN a prospéré pendant deux siècles de 1700 à 1900. Tous ses membres descendent d’un unique ancêtre, Philippe Segretain, apparu là, vers 1680, sans aucun lien avec les homonymes de la région.
1) L’arrivée à Champdeniers
Le 19 avril 1680, Philippe, marchand sellier, loue une maison avec boutique au coin de la Grande Rue et de la rue de la Poterie. Il voit grand et va faire des travaux, cloisons intérieures, murs extérieurs bousillés et chaulés, pose de serrures, targettes, vitres1. Cette maison est curieusement voisine de celle de Jean CHEVALLIER où elle a droit de puisage, lui aussi est maître sellier.
Si on en croit l’acte de décès de Philippe à Champdeniers en 1730, à l’âge de 96 ans, ce n’est pas un tout jeune homme qui s’installe. Il aurait 46 ans, on verra que cet âge est probablement fort exagéré, mais il est sûrement d’âge mûr, bien nanti et songe à se marier.
Mais là commence les étrangetés. Philippe s’est marié effectivement en 1680 avec Marie ESCOTIÈRE qui, sans être une riche héritière, est une fille de notaire de La Haute Folie, maison située sur la paroisse de Germond, mais plus proche de l’église de Champdeniers où ont eu lieu son baptême en 1658 et ceux de ses treize frères et sœurs. Le notaire, Laurent ESCOTIÈRE, sieur de la Caillerire s’est marié quatre fois et l’inventaire à son décès dit son train de vie en 1678 : cheval, fusil, cuillers d’argent. Elle est donc jeune, instruite, elle signe les nombreux actes notariés que des époux respectables, sire Philippe SEGRETAIN et dame ESCOTIÈRE, vont passer.
Philippe ne signe jamais, l’association parait déjà étrange, au point de se demander s’il ne dissimule pas, mais il y a pire. Le mariage se situe entre le 8 décembre 1679 et le 17 juin 1680, dates d’actes relatifs à la succession de Laurent ESCOTIÈRE père et l’acte de mariage est introuvable bien que les registres religieux existent à Champdeniers, à Germond, aucun contrat de mariage non plus.
Seraient-ils protestants et mariés au temple, ailleurs qu’à Champdeniers où le temple a été démoli en 1663. Il y a des relations de Philippe avec les CHEVALLIER, les OLIVIER qui ne sont pas de bons catholiques, Philippe se cache-t-il ? A la limite, on peut penser que Philippe est peut-être bigame !
La réponse est contenue dans le testament que dicte Marie le 12 août 1680 aux notaires Pierre BRAUD2 et Louis LAROCHE. Marie est gisante dans sa chambre qui a “ses aspects sur la Grande Ruhe et ruhe de la Potrie ”. Elle est malade, et sans ambigüité demande à “estre inhumé cretien(nemen)t et sellon les seremonies de nostre Mere Ste Esglize catolique apostolique et romaine dont je fais profession ”. La famille de Marie n’a d’ailleurs aucun lien avec le protestantisme, elle a été baptisée en l’église de Champdeniers.
Ce testament est aussi bizarre, il est presqu’en forme de contrat de mariage et Marie, en soulignant les “bons agréables services que m’a cy devant randus jusqu'à présent et que j'espère qu'il me rendra cy après, led. SECRETAIN mondit mary”, s’attache à lui laisser tous ses biens. Inutile de dire que Marie ne mourra pas avant 1734 ! A noter que les notaires écrivent SECRETAIN avec un C, à la mode du pays.
Il est donc établi que Philippe est marié en 1680, qu’on ne sait pas d’où il vient ni comment il a été parachuté à Champdeniers.
2) Jean SECRETAIN frère de Philippe ?
Il y a bien une légende qui court dans la famille : il viendrait du Nivernais ou du Berry où il aurait eu des démêlés avec la justice, indication bien mince et un peu suspecte. Où chercher ? Si les parents de Philippe sont introuvables, les enfants sont là : neuf sont nés entre 1681 et 1700. L’acte de baptême de l’aîné, Jean, est aussi introuvable ! Persévérons : le troisième en 1686 est orné d’une superbe signature avec griffe du parrain : Jean SECRETAIN.
C’est gagné ! une note du livre « Histoire de Champdeniers » de Desaivre signale un Jean SEGRETAIN, officier du duc d’Orléans, à propos de la vente de la maison de la Basse Folie en 1702. Cette maison lui a été attribuée au Châtelet de Paris sur François de Rochechouart3, marquis de Chandeniers en déduction de sommes dues. Une piste à ne pas lâcher, rapprochant Chandeniers, la Folie et les Segretain : pourquoi Jean a-t-il hérité de cette maison ? Où est le testament de Chandeniers ?
Un premier testament du 15 février 1695, écrit de sa main, est à Dijon, avec une copie de celui de1696. (E 1629).
Je donne à SEGRETIN toute ma garde robe consistant en tous mes abis avec le lit où je couche et les ches rouges qui sont dans ma chambre et mon cabinet et une des deux tables noires qui y sont.
A lui et à Glode tant le linge qui sert à ma personne que le linge de table, draps de mon lit et du commun... tout ce qui est dans l'office tant porcellene que faience verrerie, excepté l'argent.
Le testament du 9 mars1696 comprend six feuillets joints à l'acte, dont l'écriture est ferme malgré les 85 ans de l'auteur4. Les notaires se sont transportés en l'enclos de Ste Geneviève, en la maison du défunt. Et on apprend que SEGRETAIN a été valet de chambre de Chandeniers, … non payé, ce qui est classique pour un grand seigneur.
Je donne à SEGRETAIN, mon valet de chambre, 1500£ une fois paiée en cas qu'il soit à mon service lors de mon décès
à BOUGAREL, mon second valet de chambre, 1200£ s'il est pareillement à mon service.
Je donne en outre audit SEGRETAIN tous mes abis, mes robes de chambre, tout le linge qui sert journellement à ma personne tant ce qui est à Paris que dans les autres lieux que iabitte
audit BOUGAREL tous les livres qui sont dans lesdites maisons à l'exception de ceux dont iay disposé cy dessus et des douze volumes au choix de mes soeurs religieuses qu'elles pouront prendre sur le catalogue qui leur sera représenté.
On comprend alors la venue de Jean SEGRETAIN à Champdeniers, pour la première fois en décembre 1679. Ce n’est pas le seigneur qui se déplace, Chandenier n’est pas venu à Champdeniers depuis 1648, mais Jean Secretain, son chargé de procuration, bourgeois de Paris demeurant paroisse St André des Arts, qui doit quand même avoir fière allure… avec les habits de son maître.
Il vient régler les comptes de la succession du comte de Limoges, fils de son maître, devant le notaire Braud. Il faut six mois à Jean pour retrouver les créanciers, obtenir les jugements, inspecter des bâtiments qui tombent en ruines, au printemps 1680 et il change de notaire pour Escotière fils, de la Folie. Il y a trop de coïncidences pour que Philippe ne soit pas son parent, mais il n’en est pas question.
Il faut tout lire pour arriver au 8 août : Jean a dû repartir à Paris et laisse « son frère Philippe » encaisser les loyers, et plus souvent encore, il délègue ensuite, un troisième frère, Pierre Segretain. Celui-ci, sans fonctions précises, reste l’homme de confiance tantôt au château de la Mothe-Chandeniers, tantôt à Paris, auprès des sœurs Rochechouart. Il est même récompensé par des rentes constituées sur sa tête par Chandeniers et qui nous apprennent qu’il est né à Taxat en Bourbonnais.
Ceci nous fait bien progresser dans l’enquête sur l’origine bourbonnaise de Philippe, comment il est arrivé à Champdeniers dans les bagages du marquis qui devait connaître la famille Segretain. N’avait-il pas épousé Marie LE LOUP de Bellenaves (évidemment il faut traverser l’autoroute pour aller à Taxat mais ce n’est qu’à 10 km)? Ce qui ne donne pas les parents Segretain !
3) Le Bourbonnais
Jean et Pierre travaillent ensemble, se passent des procurations, quand l’un ou l’autre voyage, où l’on apprend que Jean est gentilhomme verrier de la Rochère à Passavant en Haute-Saône, et il est marié. Donc trouver ce mariage vers 1680 et s’il est filiatif, c’est gagné. Pas de registres paroissiaux parisiens, mais une centaine de notaires dont beaucoup ont des répertoires.
Le contrat du 29 juillet 1680 existe à l’étude 755, je ne me rappelle plus si je les ai fait toutes, dans l’ordre !
Fur(ent) presents Jean SECRETAIN sieur de Lanoyeraye demeurant a Paris rue des Roziers parr. Sainct Gervais, filz de deffuncts Barthelemy SECRETAIN viv. ad(voc)at en parl(e)m(ent) et de damelle. Louise ALLIGER sa femme quand ils vivoi(en)t dem. a Bellenave en Bourbonnois pr. luy et en son nom dune part, et damelle. Antoinette Edmée Lefevre … demt. rue des Francs Bourgeois d.parr. St Gervais, pour elle et en son nom dau(tre) part, Lesquels parties en la présence et de l'advis de leurs parens et amys cy apres nomez scavoir de la part dud. Secretain de hault et puissant seigneur Mre François de Rochechouart de Limoges ch(eva)l(i)er Marquis de Chandenier, Damoiselle Marie de Rochechouart de Chandenier fille …
Aucun bien de Jean n’est mentionné, la femme apporte en dot la verrerie, c’est à dire un fameux sac d’embrouilles (elle avait été détruite pendant la Guerre de Trente Ans)et de dettes, mais Jean est habile gestionnaire : la verrerie existe toujours !
L’enquête est-elle terminée ? Ce serait bien d’aller voir à Bellenaves si les actes de baptême existent. Jean, est né à Bellenaves en 1642 d’un père praticien, Philippe est né en 1645 et il avait 85 ans à son décès et non 96. Les deux frères Jean et Pierre, avouent aussi 90 ans, quand ils meurent à Passavant. Mais une autre découverte nous attend à Bellenaves. Barthelemy Segretain en 1660 est notaire royal, suite logique pour un praticien. Pourquoi a-t-il a cédé sa charge le 21 juillet 16696 à Antoine Thévenet, ce qui est parfaitement possible, mais rare, alors qu’il a des fils capables de le remplacer ? On s’interroge d’autant plus sur cette cession, que le même jour, un Claude Secretain dont la parenté n’est pas indiquée, cède aussi sa charge de notaire royal.
4) Les ennuis judiciaires
François de Rochechouart a-t-il entraîné ses fidèles dans sa chute ? 1668 consacre ce qu’il conviendrait d’appeler sa faillite frauduleuse, avec des dettes dépassant les 500000 livres et en 1671, deux lettres de cachet l’enverront à Bourges puis en prison à Loches. Non seulement il est endetté, mais grand seigneur frondeur il ne comprend pas que les temps ont changé et qu’il n’est plus au dessus des lois : les Jésuites de Moulins, entre autres, le gênent, ils interviennent même comme ses créanciers, en récoltant auprès des notaires, greffiers et tabellions tous les actes qui pourraient leur servir7. S’ensuit une sombre affaire de sac contenant des papiers d’un prieuré appartenant aux jésuites, le sac disparaît, il brûle, les jésuites ne peuvent plus reconstituer leurs papiers de cens que les paysans sont rop heureux de ne pas payer, et une sentence du présidial de Moulins contre des Secretain, des Bougarel (c’est justement le nom du deuxième valet de chambre cité plus haut).
On peut voir dans ces affaires, de bonnes farces jouées aux jésuites, mais les condamnations sont lourdes et les frères Secretain ont pu juger prudent de quitter le Bourbonnais.
5) Descendance SEGRETAIN
I. Pierre SECRETAIN ne s’est pas marié.
II. Jean devenu gentilhomme verrier, entrepreneur qui n’oublis pas les niches fiscales (verrier, bourgeois de Paris) a une descendance en Franche Comté.
Son fils Jean sera aussi officier du duc d’Orléans, le Régent.
III. Philippe SEGRETAIN (Sosa 436) et Marie ESCOTIERE devenus cabaretiers ont eu 9 enfants dont quatre filles, Marie, Marguerite, Marie Anne et Marie Honorée qui ne se marieront pas, et cinq fils :
- Jean (1681 ?-1742) notaire Champdeniers x Catherine DESHAYES en 1710.
L’acte de baptême n’a pas été retrouvé.
Un fils Jean René, notaire, et une fille- Jean Pierre (1686 – 1776) sans union
- Philippe (1689 – 1775) maître perruquier x Marie HERVÉ en 1723
- Laurens (1692 – 1745) x Thérèse Catherine CHEVALLIER
- Jacques (1698 – 1784) Sosa 218 x Françoise MAYNIER en 1730. Maître chirurgien, il a eu 5 enfants dont deux sont morts en bas âge.
A cette génération seulement, on voit que la famille est intégrée dans le milieu des tanneurs et des notables de Champdeniers.
a. Jacques Nicolas (1731-1809) x Marie Elisabeth BARATHON.
Maître chirurgien. Onze enfants dont :
- Esprit Côme, entrepreneur de TP, dont le fils :
- Pierre Théophile (1798-1864) est le grand homme de la famille. Ingénieur, architecte départemental, il a construit et restauré de nombreux édifices à Niort, Nieul, Melle, Airvault.
- Pierre Théophile est l'arrière grand père du chef de bataillon Pierre SEGRETAIN, mort pour la France en Indochine en 1950, dont la 193e promotion de Saint Cyr porte le nom.
b. Françoise (1732-1792) x René MAYNIER
c. Marie Anne (1736-1780) Sosa 109 x Louis LEBERTHON
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1 ADDS 3E 1385 Min. Escotière
2 ADDS 3E 2464 Min. Braud
3 François de ROCHECHOUART (1611 -1696) dit Chandeniers dans les Mémoires de l’époque : Saint Simon, Mme de Sévigné…
4 AN CV 952 Min. Savalette
5 A.N. Minutes Philippe Gallois LXXV/201)
6 AD Allier Insinuations des provisions d’offices (B846 ?)
7 AD Allier D89