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Livre de comptes de Marguerite de Valois

Ces livres sont conservés aux Archives Nationales sous les cotes KK (comptes de la Maison du roi et des princes du sang).
KK174 pour l’année 1585, KK175 pour l’année 1586. Ce sont les deux années où la reine Margot a séjourné à Nérac, qu’elle a quitté pour Agen en avril, puis le 1585/09/15 pour Carlat, où elle réside de 1585/09/30 au 1586/11/15, date de son départ vers Usson où se terminera son exil, 18 ans plus tard.

Le premier commence donc, à Nérac ou à Agen où Loys CHARPENTIER, trésorier général, inscrit d’abord les recettes qui s’élèvent quand même à 58760 écus, puis les dépenses qui dépassent toujours les recettes à la fin, où elle empruntera de l’argent à François ROBERT de LIGNERAC1, bailli des Montagnes d’Auvergne qui l’a aidé à s’emparer d’Agen, Les dépenses pour les gages sont impressionnantes au début de 1585, il s’agit sans doute d la cour de Nérac qui était brillante.

Ensuite il y eut des déménagements compliqués, de Nérac à Agen, puis chassée par les agenais et même pourchassée par son mari, Henri de Navarre, Marguerite « porte son train », partie au château de Carlat qui lui appartient, partie à Agen.

Les comptes permettent de suivre le déplacement. En mars 1585, il a fallu louer 27 charrettes à bœufs pour le transport des coffres, malles, lits de Nérac à Port Ste Marie sur la Garonne, puis un grand bateau pour Agen sans doute. En octobre 1585, deux grands bateaux ont transporté les meubles d’Agen à Port Ste Marie, puis de Port Ste Marie à Moissac, 12 chevaux de bât de Moissac à Carlat et 26 chevaux de bât de Moissac à Villecomtal.
En décembre, il faut transporter les chevaux du carrosse de Mme de DURAS de Villecomtal à Carlat, preuve que ces dames roulaient en carrosse … à Agen.
Tout est noté jusqu’aux frais occasionnés par l’oubli d’un luth qu’il a fallu aller rechercher à Saint-Saturnin (pendant le séjour à Usson sans doute)!

La reine a fui Agen « en trousse » derrière LIGNERAC, ce qui n’est pas exceptionnel pour une dame qui ne monte pas à califourchon, mais faire ainsi 12 lieues d’une traite2, sans coussin, elle en avait les cuisses écorchées en arrivant !
Il faut une quinzaine de jours pour parcourir près de 300 km jusqu’à Carlat en faisant étape à Lamagistère, Moissac, Cahors, Villefranche, Bournazel, Villecomtal, Entraygues, Monsalvy.
(Ce trajet qui ne semble pas direct est-il dû au choix des grandes routes qu’on rejoignait comme maintenant les autoroutes, en l’absence de routes secondaires ?)

Comment les campagnes ont-elles apprécié le cortège de dames, de 80 gentilshommes, et 400 soldats, 40 à 50 chevaux dont les agenais se débarrassaient?
Au début de 1585, à Nérac (ou Agen ?), 33 dames sont inscrites pour 133 écus et 100 écus, dont Mme de BETHUNE, une première dame qui l’accompagne depuis Paris en 1583, la marquise de CANILLAC, la comtesse de CARMAIL, …inscrites ne signifiant pas payées !
Puis 80 écus pour 8 dames dont Melles de BETHUNE, du ROURE, de BIRAC, de VAUDREMIR, là il y a même quittance (Mme de DURAS n’y est pas inscrite)
Et quelques 7 autres dames avec de petites sommes : un écu2/3 à Mme de RIBERAC… Ces 48 dames vont-elles prendre le chemin de l’exil ?

Le Divorce satyrique, pamphlet publié en 1660, décrit un cortège pitoyable : « Il n’y avait pas assez de chevaux ni de louage ni de poste pour la moitié de ses filles dont plusieurs la suivaient à la file, qui sans masque (les dames voyageaient masquées), qui sans devantier…, accompagnées de quelque noblesse aharnachée, qui, moitié sans bottes, moitié à pied la conduisirent sous la garde de LIGNERAC, aux Monts d’Auvergne, dans Carlat dont MARZÉ (Gilbert Robert de Lignerac), son frère était chastelain (il est gouverneur de la place, mais elle a reçu Agen et Carlat en dot et apanage), place forte, mais ressentant plus sa tanière que la demeure d’un Princesse, fille, sœur et femme de roi. »

Table de Carlat
Incroyable table de basalte sur laquelle s’élevaient deux châteaux, une chapelle et annexes.

Il faut payer les gardes suisses, 10 à 20 soldats à raison d 4 livres par mois, chacun, ils seront renvoyés en octobre1586, la reine est alors bien gardée à Usson.
L’administration suit : CHARPENTIER touche 500 écus, vingt secrétaires, huit clercs d’office, 6 aumôniers (1 écu à Henri LE MEIGNEN évêque de Digne), 2 chappelains sont rémunérés
Et tout le personnel
400 écus aux 2 superintendants de la maison : MM. de St Thermes et des Espans
les 5 maîtres d’hôtel : 200 écus au sr de Reupperens, Guillaume Artus…
2 autres maîtres d’hôtel, les srs de la Touche et de Loubens
11 panetiers, 11 échansons et 10 écuyers tranchants, 5 écuyers d’écurie, tous des sieurs : Louys de la Fouchardière, de Premoncel, de Castemore, de Montifault, Jehan de Salleles (qui reçoit 100 écus payés, les autres le sont-ils ?), Esme de Montigny
24 valets de chambre
5 violons Loys Pivert dit Laporte, Jacques de Namur, Eustache de Namur …et un chantre de la chambre, Nicolas Cambronne
4 huissiers de chambre dont Jean LEPAISTRE qui sera souvent chargé de courses à Carlat et 4 huissiers de salle.
On peut se demander si tout ce personnel rejoindra Carlat, ce n’est sûrement pas le cas des 71 personnes employées aux cuisines : boulangers, potaigers, hasteurs, verduriers, bouchers, poissonniers jusqu’aux galopins et femmes de cuisine, 9 à l’écurie, cochers, palefreniers, maréchal de forge. On ne trouve plus autant de monde dans les comptes de 1586.

Quelle était la retombée sur Carlat ? On dit la reine détestée à Carlat, autant qu’à Agen, où Mme de DURAS, qui la supplée pendant ses absences, apparaît comme son âme maudite par ses exigences.

Mais les achats sont faits sur place, Aurillac, Rodez. Menault BONNET, tailleur, est payé pour la façon de dix accoutrements de drap blanc en aumône pour dix pauvres ! Nicolas BOULLON, brodeur ou tapissier à Rodez, a fourni du velours pour la garniture d’une chaise à porter et des paillasses pour les suisses, Guillaume BOUCHET, marchand à Aurillac, du satin blanc, du taffetas.
Il faut aussi payer les dépenses des hôtes qui demeurent à Aurillac, des maîtres des requêtes y restent 5 semaines, et surtout des médecins, 7# à Jehan BARTHE, hostelier à Carlat pour la nourriture des médecins, 16# 20s au même, pour la dépense de l’homme et des chevaux du sr DELAUNAY médecin.

Car la reine a été malade à Carlat, en avril 1686.
Le 4 avril, Abel NARQUEAU chirurgien va quérir le sr de LAUNAY médecin habitant Moulins ( ?) payé 120 #
Le 9 avril, l’huissier LEPAISTRE va à Rodez chercher médecin et chirurgien.
Le 17 avril, on va à Espalion, pour un médecin.
Le 18, Jehan GRAULETTE chirurgien de Montsalvy,
Le 19, LEPAISTRE va à Thoulouze, chercher le sr DUMAY premier médecin de la dame.
Le 29 avril, 40 livres encore à Durand BALDIT d’Espalion.
Le 30 avril 1586, 46 livres à chacun des trois médecins de Rodez : Georges DELAFON, Urbain HEMARD, Rémond FUALDEZ

Après les médecins, les apothicaires, or rien que pour aller à Aurillac chercher les drogues, à 15 km, c’est un voyage de deux heures, LEPAISTRE est toujours sur les routes.

Le budget ne serait pas complet, s’il n’y avait encore à payer les intérêts des emprunts et les réparations aux autres châteaux (Etampes, dont Marguerite est toujours duchesse)

 

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1 Il est marié à Françoise de SCORAILLES

2 La lieue est environ 4 km.
En voiture, on compte pour l’allure normale, une poste soit 2 lieues en une heure, du 9km/h. Le cavalier peut faire le double