Marguerite de Saunhac
La dame aux trois maris
Sosa 4463
Pour écrire l'histoire de Marguerite de SAUNHAC, je pourrais recopier une dizaine de pages enthousiastes de l'histoire de Raulhac écrite en 1907 par l'abbé Poulhes, curé de la paroisse; c'était, dit-il, une «figure des plus originales et des plus sympathiques de son époque, châtelaine recherchée, appréciée qui contribua au bon renom de Messillac...»
Il la qualifie de mi-auvergnate, mi-rouergate. On pourra discuter de ses origines, mais pour le pays, aucun doute: son horizon, c'était le Goul, qui coule au pied du château de Messilhac. La rivière qui sépare les départements de l'Aveyron et du Cantal, a toujours été frontière du Rouergue et de la Haute Auvergne. La montagne qu'il traverse est hérissée de pitons où les siècles avaient accumulé les forteresses obscures, transformées dans les «trente glorieuses» du règne de François Ier en châteaux ouverts de fenêtres et portes Renaissance.
La floraison est surprenante. Les marchands se sont enrichis, les avocats, les procureurs aussi. L'anoblissement suivra, avec des alliances permettant de payer ce luxe aux anciens propriétaires.
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Messillac (1530: Jean de MONTAMAT) | Caillac (1540: Fs CHAUMEL) |
Marguerite est née dans ce milieu, fille de Gui de SAUNHAC et de Jacquette de MONTAMAT, au château de Messillac, dont elle est l'héritière par sa mère. Le château qui a toujours belle allure sur son promontoire dominant le Goul, conserve un vieux donjon du Moyen Age. Le château a été mis au goût du jour, le logis central et les deux tours carrées construits sur la muraille ont été remaniés par Jean de MONTAMAT, grand père de Marguerite, et l'intérieur, même s'il a conservé, avec bonheur, des voûtes gothiques est agréable à vivre.
Marguerite a été tenue sur les fonts baptismaux, le 19 mars 1550, par son oncle Clément de SAUNHAC, seigneur de Belcastel, et sa grand-mère maternelle Marguerite de BEAUCLAIR, juste équilibre entre un rouergat et une auvergnate qui vient des environs de Salers, ils n'ont pas hésité devant les lieues à parcourir.
La chance voulait que Messillac soit dans la vallée du Goul , passage obligé à travers le Carladez, emprunté par une vraie route remontant d'Entraygues sur le Lot à Vic sur Cère, si on accepte de franchir le col de Curebourse, ou à Aurillac en passant sous le rocher de Carlat, et nul doute, ce sont là les grands voyages de Marguerite!
Vers Vic et Thiézac
Il y a 40 km entre Aurillac et Mur-de-Barrez par la route
Il semble que Marguerite ait perdu ses parents, très jeune, elle n'a pas de frère, et elle se retrouve assez riche, pour être courtisée de bonne heure. A seize ans, elle épouse, le 11 septembre 1566, noble François du Port, originaire du Quercy. Le contrat est passé à Messillac devant Jacques COFFINHAL, notaire de Mur-de-Barrez.
L'abbé Poulhes s'attendrit «sur ce mariage d'inclination», «cette union bénie de Dieu»: quatre filles nées en six ans de mariage, car le mari, dont on ne sait pas grand-chose est mort avant 1574
Il se signale seulement par quelques actes notariés. Le 28 décembre 1571, il passe un accord amiable devant Me Etienne de Monjou, avec Annet de FONTANGES, seigneur de Cropières, qui agit au nom de son oncle Annet protonotaire: il y avait procès au sujet de patronage et droits honorifiques, droit de sépulture et litre seigneuriale, dans la chapelle Notre-Dame de l'église de Raulhac. Le bailliage de Vic a donné raison à François du PORT, mais le parlement de Paris, à Annet de FONTANGES. C'est uniquement une question de préséance, l'honneur est sauf, dans l'arrangement: Annet garde la chapelle et ses droits, mais François du PORT a droit d'y faire dire des messes (AD 15 263 F 29 pièce 38 cité in« Famille de Fontanges» de Claude Grimmer).
Le veuvage de Marguerite fut de courte durée. Le 5 septembre 1574, elle épouse par contrat reçu par Salvages, passé au château de Caillac, Charles de BARBEZIÈRES sgr dud. lieu et de Boisbreton, écuyer des écuries de la reine et capitaine d'une vieille compagnie de gens à pied. Assistent au contrat noble Jean de DIENNE, chevalier de l'ordre du roi, Antoine de CABANNES, sieur de la Servière, Jean OUVRIER, sieur de la Morèze. ( Arch. de Messillac. D'après abbé Poulhès «Le vieux Raulhac» II, p. 120 )
Comment Charles de BARBEZIERES, originaire de Rouillac en Charente, est-il arrivé là, où il sera un deuxième sieur de Messillac, ou Missillac tout court? Normal d'ailleurs, dans quelle langue s'entretenait-il avec sa femme qui semble avoir un faible pour les gentilhommes amenés par le vent d'ouest?
Il aura eu peu de temps pour apprendre l'occitan et faire deux nouvelles filles. Toujours guerroyant, il tombe dans une embuscade, en l'été 1577. Le duc d'Anjou, frère du roi, a fait reculer les protestants qui ont quitté la Basse Auvergne, Issoire a été reprise, rasée, anéantie (13 juin 1577). Descendus vers le sud, les reîtres conduits par le capitaine Mathieu MERLE (F.Remize: Biographies lozériennes), renommé pour ses talents militaires et sa cruauté, poursuivent leurs pillages.
Imberdis (Histoire des Guerres religieuses en Auvergne) raconte le combat que se livrèrent les deux armées ennemies où la noblesse catholique fut taillée en pièces par une troupe de MERLE.
Chassé d'Aurillac, MERLE remonte le cours de la Cère avec un convoi de vivres et de munitions, laissant derrière lui, Vic brûlant, fumant ("Histoire de la Famille de La Vayssière" p. 57 qui renvoie à Etudes historiques sur la Vicomté de Carlat p. CCCXXIII.)
Près de Thiézac, s'ouvre le passage difficile des gorges où les catholiques les attendent, cachés et dispersés dans la montagne qu'ils connaissent bien: ils sont chez eux. Ils attaquent et MERLE, fin stratège, ne voit d'issue que dans la fuite, il ordonne de couper les attelages, d'abandonner le convoi et de fuir. Mais en dix ans de guerre, il a appris à connaître les hommes: sorti du défilé, il ordonne de faire demi tour, certain de retrouver les ennemis regroupés, occupés à s'enivrer et à se servir, sans poursuivre leur avantage: ce fut un massacre des catholiques. Ils étaient commandés par le sieur de Neyrebrousse (Charles de BREZONS capitaine gouverneur du château de Murat), les sieurs de Plaignes (Pierre de RIBIER), de Roussières, de Fontanges,... Missillac sont tués: on imagine la désolation dans tous les châteaux des environs. Seul, MERLE mourra dans son lit, fort riche d'ailleurs: il a acquis les baronnies de La Gorce et Salavas au bord de l'Ardèche, de Jean d'APCHIER, le 24 juin 1581 et y a fait transporter, par un régiment de mulets, le butin de ses pillages. |
Affiche des chemins de fer |
Veuve avec son château, 4000 livres de revenu et six filles, Marguerite de Saunhac est un bon parti. C'est, dit-on, LIGNERAC, bailli et lieutenant du roi en Haute Auvergne, qui lui présente Raymond CHAPT de Rastignac. Celui-ci est un vaillant capitaine. De Thou parle de son infatigable courage, «vir indefessae virtutis» mais sa réputation est sulfureuse. «On souloit l'appeler le comte Raymond par sobriquet, c'est un cadet de la maison de Rastignac en Périgord. Il a commis en sa jeunesse, infinis excès contre la justice pour lesquels il auroit été condamné en effigie aux Grands Jours tenus à Périgueux, dont il auroit obtenu une abolition générale par la faveur du duc de Guise, qui l'auroit, par là, acquis son très-affectionné serviteur (Mémoires du président de Vernyes en 1593 p.67).»
Le troisième mariage est conclu par contrat devant Etienne de Montjou, notaire de Raulhac, le 16 août 1579.
1579, la guerre civile reprend de plus belle, après une sixième trêve
LIGNERAC et les seigneurs auvergnats ont adhéré en nombre à la Ligue, mais Raymond CHAPT n'a pas suivi son protecteur. Persuadé par ses parents et amis, par sa femme qui a souffert de cette guerre (elle aimait son précédent mari?), que le parti du roi est le plus assuré, le plus honnête et le plus riche, il soutient le parti du roi, contre les protestants, et contre les ligueurs, il est appelé partout où une ville est assiégée, Mur de Barrez, Aurillac, Entraygues où il est blessé en 1588, au cours d'un siège de 12 jours.
Marguerite de SAUNHAC voit alors les combattants, débarquer en son château. Elle voit mourir auprès d'elle, Jean de DIENNE qui fut son témoin du second mariage. Il a été atteint d'un coup d'arquebuse devant Mur-de-Barrez et est mort à Messillac le 4 août 1580, cinq jours après.
Cependant, les salons s'ouvrent aussi aux dames. et Marguerite de SAUNHAC sait faire preuve d'autorité pour calmer les esprits, elle en conservera une réputation d'arbitre. Messillac est à 20 km de Carlat où la reine Margot s'est réfugiée pendant l'hiver 1585-86, dans ce pays où «elle est allée trouver les muletiers et les chaudronniers», d‘après Henri III dans le Divorce satyrique. La reine est arrivée en piteux équipage, venant d'Agen, avec LIGNERAC qui lui a forcément fait connaître Messillac. |
Raymont CHAPT est nommé, gouverneur de la Haute Auvergne, le 22 avril 1589, puis bailli en 1593, par Henri IV (roi en août 1589) en récompense des services rendus.
Il ramène la paix dans la prévôté de Mauriac en traitant à Salers avec LIGNERAC et DRUGEAC, des ligueurs, le 5 septembre 1590, contre les protestant encore menaçants, il promet de remplacer les châteaux détruits et fortifie l'église de Pleaux. A Maurs, pour ramener l'ordre, ne s'y retrouvant pas dans les explications des capitaines qui se disputent la ville et dont on ne sait même plus de quel camp ils sont, il utilise le jugement de Dieu pour savoir qui a tort. Un duel en décide le 22 septembre 1591. Trois prévôtés sur les quatre de Haute Auvergne ont retrouvé la paix, Reste Saint-Flour où les troubles recommencent dès qu'il a le dos tourné. Les soldats impayés se mutinent. Messillac en vient à faire l'avance de la solde, 10000 écus! Il avait déjà dû ajourner un voyage à Nevers, où Henri IV recrute dans sa guerre contre les espagnols. Les archives municipales de Saint-Flour conservent la correspondance où il admoneste les députés. |
Son action s'est étendue hors de la Haute Auvergne. La riche Limagne n'en peut plus de nourrir ces troupes de 4 à 500 cuirasses et arquebusiers qui vivent sur le dos du paysan; c'était les techno-parties de l'époque. Le 14 mars 1590, Raymond est à la bataille de Cros Roland où il a acheminé quatre canons depuis Aurillac et on rapporte que, sans lui, qui fait preuve d'humanité disant: «Amis, nous sommes tous des auvergnats, ne nous tuons pas les uns, les autres!», le carnage dans les rangs des ligueurs eût été plus grand.
Messillac sera créé chevalier du Saint-Esprit en 1594, sans en recevoir l'ordre. Le troisième sieur de Messillac, pas plus heureux que les précédents, est tué le 26 janvier 1596, d'un coup de fauconneau, au siège de la Fère où il vient d'être reçu en audience par le roi. Il fallait du gros calibre pour tuer un pareil homme.
Le corps embaumé fut ramené à Paris, fermé dans un cercueil de plomb pour continuer jusqu'à Aurillac où il arriva le 13 février. Les funérailles eurent lieu le 26 en la chapelle St Nicolas de l'église paroissiale, en grande solennité : sa veuve avait bien fait les choses offrant 200 (?) cierges, et sans doute, beaucoup d'aumônes.
Marguerite de SAUNHAC est veuve pour la troisième fois, elle est à la tête d'une jolie fortune et d'une grande famille. Elle a eu 15 enfants dont cinq sont morts en bas âge. Les six premières filles ne posent pas de problème, elles se marient jeunes, toutes bien dotées sans doute. Les 4 garçons CHAPT vont lui causer plus de soucis.
Avant même d'être veuve, Marguerite a pris en mains l'administration des biens. Autour de Messillac, ses possessions s'étendent de Carlat à Mur-de-Barrez avec des prés, des moulins, des terres, une «montagne» , évidemment, de 35 têtes, et une vigne pour laquelle il faut descendre jusqu'à Saint-Hyppolite. Et elle achète des maisons à Aurillac, tout ce qui se présente: 330 livres en 1594, pour une maison avec boutique vendue par les consuls et les marguilliers, 1160 livres en 1595, une maison ayant appartenu aux CHAUMEIL de Caillac.
A 50 ans, la dame de Messillac est devenue une vieille dame aux conseils recherchés, comme en témoigne l'affaire de Carlat en 1602.
Henri IV a des informateurs comme le président Vernyes de Salers dont les Mémoires, conservées, montre qu'il surveille noblesse et gouverneurs qui tiennent toujours les places fortes. François de NADAILLAC, sieur de Morèse, est gouverneur de Carlat.
Carlat au temps de sa splendeur. Tout a disparu, les deux châteaux, la chapelle et les murailles : il en a coûté 12000 livres, et le chantier, commencé en décembre 1603 avec 40 maçons, a duré six mois. |
Survient la conspiration de Biron , Morèse suspect, est arrêté, et le marquis de NOAILLES, lieutenant général de Haute Auvergne, se rend à Carlat, accompagné de «nombreux gentilshommes et capitaines du pays», pour demander à Mme de MORÈSE de rendre le château.
L'épouse brave le gouverneur et refuse d'abaisser le pont-levis, elle se prépare à un siège avec son canon, c'était une affaire de monter (ou descendre) un canon là-haut. Noailles en réfère au roi, la province se soulève
Les amis de Morèse se réunissent au château de Messillac, projettent de l'enlever, mais Mme de Messillac les en dissuade, déclarant «qu'il serait plus glorieux et plus avantageux à la famille de subir les ordres du roi que de s'armer contre lui, et que quiconque s'armait conte son prince s'armait contre Dieu.»
Un traité est conclu à Thiézac entre les représentants des deux partis: le château est occupé et sera rasé, et Morèse, libéré, recevra un brevet de maître de camp.
Carlat est rasé, combien d'autres châteaux que Marguerite de SAUNAHC a connus dans sa jeunesse, ont disparu, à commencer par Montamat. Le pays, autrefois prospère, peine à se remettre de quarante ans de guerre civile. Les caisses sont vides. Les nobles endettés, s'ennuient, les fils RASTIGNAC, comme les autres. On ne compte pas les bâtards de l'aîné, Franc Bertrand, sieur de Messillac, le second Jean, sieur de Montamat est un bandit de grand chemin qui fait des razzias de bétail et comme dans les films de gangsters, il a failli tomber sous les coups de bandes adverses.
Le 27 novembre 1621, elle teste à Messillac, dans la salle basse du château, en bonne catholique qu'elle est restée. Elle demande à être ensevelie dans l'église de Raulhac, dans la chapelle de Messillac. Elle nomme son héritier: l'aîné Franc Bertrand.
Elle était malade depuis cinq mois et n'eut pas la force de signer. Elle a dû mourir peu après, dans sa 72e année.
Enfants de Marguerite de SAUNHAC
- Françoise du PORT x Jean II de BOISSET sgr de la Salle lès Vic, xx Joseph de MONTSERVIER sgr d'Orsonnette
- Hélène du PORT x Jean de LAUZEVAL
- Marguerite du PORT x Antoine de BORZES, avocat du roi
- Marguerite du PORT x Louis de GRILHONS
- Anne de BARBEZIÈRES x Fulcrand de BORZES, frère d'Antoine
- Renée de BARBEZIÈRES x sr de La BOYSSE
- Franc Bertrand CHAPT x Marguerite de VUGUIERE, épousée sur son lit de mort, et Jeanne DELMAS, Hélène JULHE...
- Jean CHAPT x Antoinette JULHE
- Antoine CHAPT célibataire, au service du roi
- Claude CHAPT ecclésiastique, prieur de Polminhac, pas trop régulier.